Les dernières élections présidentielles françaises ont marqué un tournant dans l'utilisation de la technologie. Désormais, partis et mouvements politiques intègrent de plus en plus réseaux sociaux et logiciels dans leurs stratégies. Comment utilisent-ils la tech pour mobiliser les électeurs ? Lors de tables rondes organisées par Qomon, des experts se sont penchés sur le sujet. Ils partagent leurs expériences avec nous pour en tirer des leçons.
Des partenariats tech innovants pour toucher un public jeune
Dorian Dreuil est le co-fondateur de l'association "A voté". La mission de son organisation ? Maximiser la participation électorale pour défendre la démocratie. Vaste programme, quand on sait que ces 20 dernières années, en France, l'abstention n'a cessé de progresser.
Dans le but de lutter contre l'abstention, "A voté" a souhaité être là où on ne l'attendait pas. Comment s'y sont-ils pris ?
Pour toucher un public jeune, l'ONG de Dorian a mené des campagnes de mobilisation originales lors des présidentielles de 2022. Ils ont notamment noué un partenariat inédit avec Tinder. Pendant près de deux mois, de février à avril 2022, les utilisateurs de la célèbre appli de rencontres ont vu des annonces et des vidéos d'encouragement au vote apparaître sur leurs smartphones.
Autre idée innovante, la collaboration entre Whatsapp (du groupe Méta), 20 minutes et Ouest France pour créer des chatbots. Leur but ? Donner des infos essentielles, répondre aux questions et faciliter les démarches administratives pour pousser les gens vers les urnes.
Alexa, l'assistant personnel d'Amazon, a également été mise à profit. Du contenu audio lui a été ajouté pour qu'elle donne davantage d'informations au public français, afin de les préparer au vote.
Enfin, l'ONG a signé un partenariat inédit avec Lime, l'opérateur de vélos et trottinettes électriques. Lors des deux tours des élections présidentielles 2022, les utilisateurs ont pu bénéficier d'un trajet gratuit pour se rendre aux urnes.
Ces collaborations originales ont permis à l'association de mettre à profit la technologie de façon astucieuse. La force de leur stratégie ? Parvenir à toucher un public particulièrement sujet à l'abstention.
Le débrief tech de la Primaire Populaire de 2022
Clément Pairot, responsable mobilisation numérique de la Primaire Populaire, s'est servi de la tech pour insuffler un nouveau souffle à la primaire de la gauche. Fort de ses expériences dans des mouvements politiques américains, notamment dans la campagne électorale de Bernie Sanders en 2016, il nous partage ses apprentissages et conseils suite aux élections de 2022.
L'une de ses premières recommandations : centraliser les outils. Jongler entre différents logiciels ne fait que compliquer les choses. Pour comprendre les datas récoltées, il est absolument essentiel de s'appuyer sur une structure numérique claire. Ainsi, rentrer des données sur un logiciel principal facilite leur interprétation et leur exploitation.
Par ailleurs, Clément évoque l'efficacité des campagnes de crowdfunding. Son conseil : ne pas avoir peur de demander de l'argent aux militants.
"On s'est rendu compte que dès qu'on s'est tournés vers la communauté pour qu'elle s'autofinance, elle a été très généreuse. [...] Mais il faut oser demander de l'argent aux gens. C'est clairement l'un des apprentissages de la campagne de Bernie Sanders, qui en 2016 a réussi à lever autant d'argent qu'Hillary Clinton".
À l'aide de campagnes de crowdfunding efficaces, les partis politiques peuvent lancer plus de projets et toucher une audience plus large. Nul besoin de quémander de grosses sommes : le don moyen d'un militant est estimé à 35 euros.
Acculturation et appropriation des technologies chez EELV
En tant que chargé de la mobilisation numérique chez EELV, la tâche de Marwan Khebichat a été d'aider son parti à utiliser la tech lors des présidentielles 2022. Enjeu très stratégique, quand on connaît l'histoire et la culture de ce mouvement. Au sein d'EELV, il existe en effet une méfiance historique face aux géants de la tech, les GAFAM.
"Il y a une culture où tout présage de ne pas avoir d'outils numériques chez EELV, mais malgré cette culture, on a réussi, pendant la présidentielle, à créer de vraies stratégies de mobilisation numérique. Avec de vrais tunnels qui partent de l'acquisition par des pétitions jusqu'à la transformation par les militants."
L'une de ses observations porte sur l'appropriation des outils selon les générations. En effet, chez EELV, les responsables mobilisation les plus jeunes ont été les premiers à utiliser des outils numériques pour mobiliser, informer et militer.
"Aujourd'hui, les cadres qui ont fait les choix d'outils numériques, qui ont favorisé le porte-à-porte, le pair-à-pair, l'envoi de SMS etc, toutes ces choses qui sont un peu nouvelles chez EELV, sont des cadres qui ont moins de 36 ans."
L'un des enjeux majeurs du parti fut de former l'ensemble de ses militants à l'utilisation des outils, afin qu'ils comprennent et tirent parti de leur potentiel.
Qu'en est-il de l'avenir de la tech en politique ? Selon Marwan, il est essentiel de penser les actions sur un temps longs. "Je pense qu'on a besoin d'intégrer des outils tech dans nos orgas dès maintenant, et sur le long terme. Les réussites ne viennent pas de nulle part.". Les mouvements politiques ont donc encore du pain sur la planche pour intégrer pleinement les logiciels et outils numériques à leurs stratégies. Toutefois, nous pouvons constater que lors des Présidentielles 2022, les partis ont réalisé de gros efforts pour combiner le terrain et le virtuel. Nous sommes donc sur la bonne voie !
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Crédit photo : Limepic